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contre une  représentation naïve du haut potentiel

Coup de gueule

L’identification d’un haut potentiel intellectuel suscite à tort de grands espoirs auprès de personnes en mal de repères. Il représente à leurs yeux une quête du Graal capable de donner sens à leurs souffrances. Combien se pressent à sa porte espérant être touchés par sa grâce ?

Cet engouement constitue une aubaine pour certains leaders de la « scène douance », opportunistes, surdoués autoproclamés, qui les accueillent en leur faisant miroiter une représentation idéalisée et absolue du haut potentiel. En substance, ils soutiennent que ce profil qu’ils encensent pour ses vertus prodigieuses, conférerait à l’esprit de l’heureux élu une force capable d’intercéder en faveur d’un « Moi » puissant qui dominerait par son extraordinaire différence. Évinçant du même coup les dupeuses affections de l’esprit, cette même force restaurerait dans sa merveille le potentiel d’une pensée hors norme, évidemment jusqu’ici sous-exploité !

Comme il se trouve que l’identification d’un haut potentiel est conditionnée entre autres au sacro-saint test de QI et que la confrontation avec l’intransigeance psychométrique — seulement 2,3 % de la population générale — s’avère en principe extrêmement risquée pour les faux gourous tout autant que pour la plupart de leurs adeptes, ces derniers sont encouragés à emprunter des chemins de traverse, quitte à s’arranger avec la réalité. Ils se laissent d’autant plus aisément convaincre que la chimère rend la démarche chez le neuropsychologue totalement inutile pour ne pas dire obsolète ! En effet, tous ici sont réunis autour du « maitre » parce que chacun et chacune porte les stigmates de la douance. Ces derniers prennent diverses formes dont celle d’un préjudice causé par un tiers nommé : « les autres ». Compréhension rapide versus lenteur des autres, grande lucidité versus aveuglement et surdité des autres, difficultés relationnelles en raison de l’incompréhension des autres, etc. Un travail sur soi encadré par un professionnel apparait donc comme une démarche fastidieuse au regard de l’octroi providentiel d’une douance fantasmée, « marketée » comme un produit de luxe. 

Cependant, ces stratégies de contournement du test de QI ont tendance à enfermer les protagonistes dans des logiques d’obnubilation qui augmentent leur mal-être, en même temps que leur dépendance à l’égard du leader. En protecteur de ses disciples, le maître fait barrage à l’implacable rationalité d’une démarche à caractère professionnel qu’il dévalue au profit de sa doctrine.

En acceptant ce remaniement de la réalité, les disciples apportent leur contribution à la dynamique de groupe en émettant une plainte. Elle concernera une sensation de décalage avec les autres, un échec scolaire ou professionnel, une sensibilité à fleur de peau, une émotivité accrue, un sentiment d’injustice chevillé au corps, une vie affective instable Cette difficulté trouvera écho auprès du collectif qui y verra la signature d’un haut potentiel intellectuel attendant d’être révélé au monde.

Ensemble, ils se persuadent de présenter une activité de pensée tellement différente du reste du monde qu’ils ne résistent à se gratifier mutuellement d’un sentiment d’admiration, mais également de compassion pour l’extraordinaire souffrance endurée, en raison d’une intelligence aussi singulière que supérieure.

C’est ainsi que le profil haut potentiel auréolé de ses supers pouvoirs est vénéré dans des forums sur internet, des groupes sur les réseaux sociaux, par le biais de vidéos et de tchat, etc., tous constitués autour de leaders qui, pour certains, entretiennent dans des livres hâtivement écrits, l’illusion d’une douance à portée de main. Illusion qui brule comme un feu sacré tandis que l’hystérie collective lui adresse ses chants de louange.

Ces grand-messes web servent des litanies qui reprennent en boucle des assertions simplistes. Ces propositions partiales invitent à se projeter et apprendre par imitation à se comporter en surdoué, selon le modèle fantasmé donné en référence par le maître. À cela, chacun contribue en témoignant d’un de ses traits de personnalité ou de caractère qu’il suppose éligible à la douance. Alors peu à peu, par co-construction, un (faux) profil haut potentiel apparait en filigrane comme par miracle. Ce tour de passe-passe induit que la révélation suffit à elle seule à liquider d’éventuels troubles psychopathologiques sous-jacents. Évidemment, la suggestion demeure tacite et porte en elle une information autant erronée que risquée pour la santé mentale.

Dans mon viseur, on l’aura compris, tous ces leaders autoproclamés surdoués à partir d’un test bidon, d’un questionnaire de magazine, tous ces influenceurs du web qui au nom de la douance portent préjudice aux personnes qui viennent à elles ; notamment aux profils intuitifs et surdoués non identifiés dont la fragile représentation de soi risque de se diluer dans les sottes affirmations de cette propagande, non exempte d’intentions mercantiles.

En tant que personne identifiée avec un profil dit « à haut potentiel » — bilan et test de QI — je suis stupéfait de constater la déférence quasi religieuse, dévote, que certains entretiennent vis-à-vis du concept de haut potentiel. Déférence agissant comme un lavage de cerveau qui délite le sens critique, seyant aux esprits éclairés. Le haut potentiel gagnerait à être désinvesti de la fantasmagorie qui lui est attachée. Celle-ci est devenue un prétexte au ralliement de personnes en souffrance qui se perdent en conjectures anxiogènes. Elles s’égarent dans les méandres d’un concept qui a largement dépassé celui de personnalité cognitive pour devenir celui d’une religion, d’une façon d’être tellement supérieure aux autres par la différence. 

Insidieusement se dessine une hiérarchisation des systèmes de pensée à l’intérieur de laquelle le haut potentiel occupe la position la plus élevée. Celui-ci apparait comme le nec plus ultra des fonctionnements intellectuels dominant tout autre style d’intelligence. Sa vénération est celle d’un veau d’or. Elle ne laisse aucune chance aux fidèles de quitter la paroisse. Chacun redoute de se retrouver à nouveau en errance dans le monde ordinaire des normopensants, au sein duquel la singularité et l’excellence évidemment n’existent pas !

La survalorisation du haut potentiel a engendré un véritable mythe de puissance mentale, tel qu’il intimide les authentiques surdoués ; ces derniers ne se reconnaissant pas dans les prodigieuses prétentions que leur attribuent les fantasmes des fervents et non moins délirants aspirants à la douance.

Il n’y a rien de plus humain que de chercher le plus court chemin pour atteindre la réussite et la sérénité, mais la détection d’un haut potentiel à l’âge adulte n’en fait pas partie. Quel que soit son propre système de pensée, se (re) connecter à soi-même constitue une chance inestimable, bien supérieure à celle d’être identifié « surdoué ».

Par ailleurs, il existe tant de combinaisons qui rendent compte de fonctionnements mentaux singuliers, que nombre de ces penseurs atypiques demeurent inclassables au regard des connaissances actuelles de la science.

Liquider un trouble névrotique et accéder à son être profond est tout aussi intense et jubilatoire pour une personne « normale » que pour une personne à haut potentiel. Tout est question de couleur d’âme, de regard posé sur le monde, de courage, de travail aussi, de persévérance, bref, tout ce qui concourt à valoriser un être humain.

Le fonctionnement « haut potentiel » n’est en rien meilleur que le profil normopensant. Il n’apporte pas de supplément d’âme. Simplement autre, sa différence doit être préservée des regrettables amalgames. Chaque personne, unique en son genre, possède une valeur intrinsèque qui ne saurait être réduite à son intelligence si haute soit-elle. Ne pas être doté d’un haut potentiel ne compromet nullement les chances d’un individu d’incarner une personne exceptionnelle.

Enfin, la singularité du haut potentiel ne se laisse pas apprivoiser facilement. Elle ressort de processus de pensée peu communs et dépendant de l’environnement ; la question de la quantité d’intelligence reste secondaire. Œuvrer à développer son potentiel ou ses zones de haute potentialité, implique d’investir beaucoup de temps, d’énergie et de travail sur soi.

Pour conclure ce coup de gueule, on ne peut que s’indigner de la façon dont certains instrumentalisent la douance en ne reculant jamais ni devant leur propre ignorance, ni leur intention de tirer profit d’un concept complexe. Simplifiée, romancée et idéalisée, la représentation du haut potentiel revêt ainsi un fort pouvoir attractif auprès de personnes en mal de compréhension, de confiance et d’estime d’elles-mêmes.

  • Déroutante, cette représentation génèrera de la confusion auprès d’individus dont la personnalité s’accorde avec un style cognitif classique, normal. Ils seront éhontément trompés si on leur fait miroiter que leur pensée est en accointance avec une qualité d’intelligence hors norme.

  • Problématique, elle sera également mal supportée par des personnes à haut potentiel intellectuel ignorant la particularité de leur fonctionnement. Elles seront troublées par la représentation factice que l’on projette sur leur système de pensée.   

  • Délétère, elle brouillera les investigations introspectives d’une personne surdouée non identifiée, autant que celles des personnalités cognitives atypiques en quête de sens.

Toute personne qui peine à cerner ses mouvements mentaux devrait se diriger vers un spécialiste auprès de qui, dans l’intimité de la consultation sous secret professionnel, elle pourra analyser, comprendre et prendre conscience de ses rouages cognitifs et psychologiques. Et non participer à des groupes sur internet au sein desquels elle a toutes chances de s’égarer en s’étourdissant avec des poudres de perlimpinpin. 

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